L'Histoire est une discipline injuste et partiale. On dit que les vainqueurs l'écrive, et c'est la plupart du temps le cas.

En effet, dur d'écrire un bouquin quand on vient de se faire massacrer...

On parle toujours des "grandes" batailles, des "grands" rois, des "grandes" découvertes...

Mais rares sont les fois où l'on mentionne le peuple qui s'est fait massacrer (d'un côté comme de l'autre), gouverner, ou exploiter.

N'oublions pas que pour qu'un magnifique palais soit construit, qu'une conquête soit faite, ou qu'un continent soit "découvert", il faut de la main d’œuvre, dont on ne fait que très peu de cas.

Bien heureusement, une littérature d'histoire dite populaire existe, et cela depuis un certain temps déjà.

Intéressons nous ici à celle du Brésil (sans grande surprise n'est ce pas!)


En se baladant dans la région Nordeste du Brésil, profitant de ses magnifiques plages et parcs naturels, découvrant les centres historiques des grandes villes, marqués par l'empreinte coloniale, on ne peut s'empêcher de remarquer la forte identité culturelle bien à part (comme dans chaque région brésilienne d'ailleurs).

Autour de nous, plusieurs signes très forts marquant l'époque coloniale sont révélateurs d'un passé douloureux et d'un héritage difficile à porter.


Tout d'abord ces centres-ville, transpirant une richesse abondante et passée. A l'instar des ports du Havre, de Bordeaux, de Nantes ou de La Rochelle en France; les ports de Salvador, Recife ou Maceio se sont enrichis grâce au commerce triangulaire. Profitant de l'arrivée massive d'esclave en provenance d'Afrique, pour construire les infrastructures, cultiver la très prisée canne à sucre ou le café, ou encore bâtir les villes.

Salvador est d'ailleurs restée la capitale du Brésil portugais de 1549 à 1763.


Autre signe, la capoeira, ce mix entre sport de combat et danse, inventée par les esclaves afin de se divertir, et qui est restée illégale jusqu'au milieu du 20ème siècle (c'est à dire un demi siècle après la déjà tardive abolition de l'esclavage au Brésil). On pouvait aller en prison pour la pratique de cette discipline, et bien que sa popularité actuelle à travers le monde rende ce fait difficile à imaginer, les persécutions qu'elle engendrait étaient bien réelles!


Quand on parle de l'esclavage, on s'arrête souvent à une facette (et pas des moindres, je le conçois!)

On parle de cette exploitation horrible de l'homme par l'homme, et on se contente d'évoquer cette docilité, cette résignation des peuples africains, déracinés, et contraints à travailler toute une vie dans des conditions inhumaines.

Bien que nécessaire, l'évocation de ce point de vue n'est pas suffisant, car il ne prend en compte que la vision négative et ethnocentrée de l'occident et de sa grosse part de culpabilité.

Mais comme toute exploitation à travers le monde et l'histoire, et quelque soit sa forme, il y a toujours des personnes pour se rebeller, qui n'acceptent pas, qui ne sont pas dociles, et qui se révoltent contre l'oppression mise en place.


Les pirates, qui sont pour la plupart l'émanation de révoltes de marins ne supportant pas ou plus leurs conditions de travail et de vie sur les navires marchands et militaires des 17ème et 18ème siècles, les révoltes ouvrières du 19ème siècle, ou paysannes plus tôt, les rebellions contre la colonisation,...

Des exemples il en existe à foison, à travers l'Histoire populaire de l'Humanité, et de son exploitation par les puissants.


L'esclavage a également connu ses fortes têtes, ces personnes refusant catégoriquement leurs conditions de vie, et se levant pour affronter l'oppresseur, ou s'enfuir.

Aux Antilles, ce sont les Neg'marron, qui s'échappaient dans les montagnes et tentaient de recréer un semblant de vie loin des blancs.

Au Brésil, les esclaves en fuite s'organisaient en communautés appelées Quilombos. Bien souvent elles étaient détruites à titre d'exemple. En effet, ça fait un peu tâche de laisser se développer des communautés autonomes et libres d'anciens esclaves, à quelques centaines de kilomètres des champs de canne, où tout le système colonial reposait justement sur l'esclavage!


Mais un quilombo est resté célèbre même après des siècles. C'est celui de Palmares, situé dans l'Etat actuel d'Alagoas.

Durant 1 siècle il a résisté aux assauts du pouvoir colonial et militaire, durant 1 siècle il a accueilli les esclaves en fuite et a tenté de reconstituer une vie normale, loin de cette exploitation.

Détruit en 1694, il a survécu très longtemps et compta plusieurs milliers d'habitants, une petite ville en somme.

Un personnage est resté très célèbre dans le Nordeste, c'est le chef Zumbi. Né dans le quilombo, il fût capturé très jeune par des soldats portugais, qui par un miracle ne le tuèrent pas et le remirent a un prêtre, avec qui Zumbi grandit jusqu'à l'âge de 15ans, âge où il s'enfuit pour retourner à Palmares. Peu à peu il s'imposa comme un grand guerrier, et un fin stratège (très important pour resister aux portugais). Lorsqu'il atteint l'âge de 23ans, le gouverneur de la province propose à n'importe quel insurgé du quilombo de se rendre et de redevenir esclave "comme si de rien n'était". Le chef d'alors accepte, et Zumbi non. Il est propulsé à la tête des insurgés, et cela jusqu'à sa mort.

Pendant 15 ans il résista vaillamment, jusqu'à tomber devant les forces combinées de mercenaires, d'armes à feu bien trop puissantes, et trahit par les siens. Il resta un Héros pour bon nombre de brésilien.nes.

De la communauté de Palmares, il ne reste plus grand chose, bien qu'un mémorial existe toujours.

C'est d'ailleurs souvent le problème avec les résistances populaires: garder une trace, car ne sortant pas vainqueurs, l'Histoire ne leur est que rarement favorable.


Heureusement, c'est là qu'entre en jeu le Cordel! Ce style littéraire qui est un mélange de poésie et de conte historique, ayant pour objet de garder une trace écrite d'épisodes ou de personnages populaires. Style politique sans l'être de manière affichée, il joua un rôle important pour la capoeira et Mestre Bimba, grand militant capoériste, qui se battit une grande partie de sa vie pour légaliser la capoeira et pouvoir enseigner cet art aux jeunes générations de Salvador.


C'est par un heureux hasard que je suis tombé sur cette littérature, durant le carnaval, lors d'une escale à Salvador, dans une auberge de capoéristes. Je tenais à partager cette découverte et vous invite à parcourir ces petits livres si vous en avez l'occasion.

Car comme Howard Zinn, Marcus Reddiker, et bien d'autres historiens qui s’intéressent différemment à l'Histoire, je crois profondément qu'il y a des gens avant tout, derrière chaque évènement historique.

Et je trouve bien plus intéressant de parler des rebelles et de ceux qui n'acceptent pas l'exploitation des puissants.


En parler c'est garder leur mémoire vivante!