Mettre les pieds en Guyane et s'y balader, c'est entrer de plein fouet dans une histoire douloureuseument liée à un des systèmes pénitentiaires les plus horribles de notre Histoire moderne. Durant quasiment un siècle, des centaines de milliers de personnes foulèrent les terres hostiles de cette lointaine contrée "appartenant" à la France.


L'origine du bagne date de 1852, 4 ans après l'abolition de l'esclavage sous l'égide de Victor Scoelcher.

A vrai dire, sa création par Napoléon III est souvent expliquée par une envie de contenter le peuple en désengorgeant les prisons métropolitaines (cependant déjà situées sur le littoral), afin d'éloigner un système qui convient mais qui est préférable loin des yeux de la populace, pour être accepté par la majorité.

On peut enfermer ses semblables, mais c'est quand même mieux de ne pas les voir!

La particularité du système pénitentiaire mis en place en Guyane est de fait son éloignement géographique, ainsi que les conditions climatiques propres à cette partie du monde, auxquelles étaient confrontés les bagnards, non habitués aux tropiques moites et moustiqués, comme on peut s'en douter!

S'ajoute à cela le principe de doublage, qui consistait à doubler la peine subie par le prisonnier. Celui-ci avait pour pénitence républicaine l'obligation de séjourner sur le territoire guyanais un nombre d'années équivalent à la peine qu'il avait déjà effectuée quand celle-ci était inférieure ou égale à 8 ans. Sinon c'était une assignation à vie.


Toute la société guyanaise était organisée autour du travail non rémunéré des bagnards. Ceux-ci, selon l'acte qu'ils avaient commis ou le comportement sur place, étaient envoyés sur des postes plus ou moins difficiles, allant des travaux domestiques pour le personnel pénitentiaire aux durs travaux de déforestation manuelle, dans le but de créer des pistes entre les principaux sites de travail, stratégiques ou encore de vie. Tous les bâtiments administratifs, les maisons du personnel, jusqu'au bagne lui-même, furent construits par les forçats. Pratique et économique pour un territoire peu facile à exploiter et loin de tout!

Toujours est -il que peu de gens étaient rémunérés en Guyane (en dehors bien sûr des membre de l'administration pénitentiaire elle-même). Et lorsqu'il fallait survivre jusqu'à la fin du doublage et économiser pour payer son billet de retour en métropole (et oui, faut pas déconner l'aller était payé, la france n'allait pas offrir le retour en prime...), beaucoup rencontraient d'énormes difficultés.

Quelques fois, les trafics en tous genres et la débrouille associés à la corruption viscérale du personnel pénitentiaire, permettaient une subsistance et même des espoirs d'évasion, qui se payait par ailleurs très cher!


Les conditions de survie des bagnards "libres" ou libérés (terme à prendre avec des pincettes tant le concept de liberté peu être remis en question du fait de cette obligation de rester sur le sol guyanais) étaient tellement difficiles qu'ils commettaient très souvent des délits mineurs souvent pour manger, afin d'être à nouveau condamnés par le tribunal maritime (la plus haute instance judiciaire sur place), et ainsi pouvoir manger à leur faim...

Dur de s'imaginer que consciemment, des personnes optaient pour un retour à l'enfermement, tellement leur avenir "libre" était sans espoir.

Le bagne était aussi l'occasion pour l'Empire, puis la République, pour les classes bourgeoises dirigeantes, de chasser loin des yeux, les miséreux, les indigents, les vagabonds, loin du territoire métropolitain, de purifier la société en somme. Nombre de bagnards furent envoyés là-bas pour récidive de vol à la tire ou "vagabondage". C'étaient les relégués aussi surnommés "pieds de biche" Paul Roussenq surnommé "l'insoumis" fût de ceux-là.

Par le passé, ils étaient réduits à une forme d'esclavage sur les galères royales qui avaient un fort besoin de main d'oeuvre pour conquérir le monde, faire la guerre aux autres puissances occidentales, coloniser les terres et les humains d'outre Atlantique ou d'ailleurs. Beaucoup se rebellèrent d'ailleurs, c'est l'époque de la piraterie.

Toujours est-il que beaucoup de bagnards finissaient leurs jours en Guyane, pour une poignée de délits mineurs.

Rappellons que la durée de vie moyenne d'un forçat sur place était de 5 ans...


D'autres y étaient envoyés pour des crimes plus graves (viol, meurtre,...). C'étaient les transportés.

Il y avait également les biribis, ceux qui venaient directement d'Algérie où ils servaient l'armée coloniale (plus ou moins volontairement) et étaient condamnés par un tribunal militaire aux travaux forcés pour différents types de fautes (insubordination, bagarre, meurtre, etc...)


Tout ce petit monde était acheminé vers les tropiques dans un bateau spécialement alloué au transport de bagnards, dans des conditions très difficiles et surtout mélangés. La loi du plus fort et du plus violent ou les alliances d'origines géographiques y faisaient rage. Dans le meilleur des cas les plus faibles y vendaient leur corps pour survivre.

Et ce mode de fonctionnement perdurait par la suite dans les chambrées de 100 au sein du bagne. De 18h à 6h du matin les cellules collectives étaient fermées à clef et les matons guettaient de loin.


La dernière catégorie de bagnards était celle des prisonniers politiques, également appellés déportés. Le plus célèbre fût Dreyfus. Un nombre conséquent d'anarchistes y fûrent envoyés (ayant ou non fait quelque chose de répréhensible par la loi, autre que de penser différemment et de vouloir une société plus juste)


Dans les années 30, vinrent se joindre les indépendantistes indochinois et algériens. 500 indochinois ont été déportés en Guyane, où un site particulier leur a été attribué, au milieu de la forêt. La plupart périrent en tentant , en vain, de rallier deux sites en construisant une piste à mains nues ou presque. Seuls restent les vestiges du bagne des annamites, perdus au milieu de nul part.

Absurdité d'un système colonial qui envoit mourir loin de chez eux des hommes qui aspiraient à la liberté et à un système affranchi d'un écrasante domination occidentale.


L'administration pénitentiaire poussait même le vice de son organisation en plaçant des bagnards à la tête d'autres bagnards, idée reprise plus tard par les nazis dans les camps de travail ou de concentration avec les capos. Les Indochinois également étaient tenus par les tirailleurs sénégalais. Des colonisés rossés par d'autres colonisés à des milliers de kilomètres de leurs terres natales.

Génie machiavélique d'une politique coloniale qui divise et déshumanise.


Ce régiment de tirailleurs sénégalais fût dans un premier temps acheminé sur place afin de mater une révolte, puis ils restèrent des années en tant que matons comme on l'a vu. Ce statut était difficile à porter, et l'éloignement de leurs familles ainsi que le sale boulot qu'on leur imposait donnât lieu à une révolte sanglante de leur part qui fût durement reprimée, mais qui leur offrit le retour tant souhaité, mais à quel prix?


Beaucoup de bagnards (quelque soit leur origine ou la nature de leur condamnation) tentaient de se faire la belle. Certains réussissaient, d'autres non, certains réessayaient, d'autres non. Des milices de bagnards appellés les chasseurs d'hommes étaient envoyés à leurs trousses. Ceux qui tentaient de se faire la belle, débordaient d'imagination pour déjouer la surveillance et les éléments naturels (eau, requins, forêt,...), qui étaient bien souvent suffisant pour les arêter.

Ce système horriblement bien huilé perdura donc quasimment un siècle loin du peuple, loin des yeux loin des coeurs.

Parfois des déportés revenaient au pays et tentaient de raconter, mais bien souvent ils preferaient se taire et oublier cette page difficile à conter hors contexte.

Puis arrive le très fameux et retentissant reportage d'Albert Londres en 1923. Ce journaliste qui fît du système pénitentiaire de Guyane son cheval de bataille. Etant venu sur place, il était pour lui devenu impossible de ne pas s'insurger contre les traitements violents, les conditions de vie déplorables, les punitions arbitraires, infligés aux bagnards. Et de son reportage découla beaucoup d'assouplissements, puis d'autres prirent la plume ou montèrent à la tribune de l'Assemblée nationale pour qu'enfin le bagne soit abolit en 1947, suite à la seconde guerre mondiale et aux décisions gouvernementales de la libération fortement impulsées par les communistes et leurs espoirs de liberté hérités de la résistance.


Se balader en Guyane, c'est mettre les yeux sur une des nombreuses pages noires de l'historie française, c'est découvrir, redécouvrir, explorer ce que l'humain peut mettre en place de plus inhumain pour son semblable. C'est se souvenir pour avancer, se rappeller pour ceux qu'on a oublié. C'est rencontrer un peuple qui n'a pas pu évincer cet épisode pas si lointain.

En parler c'est rendre hommage au courage de ceux qui subirent une injustice si difficile à décrire et à comprendre.

Comme l'esclavage ou la colonisation, l'idée n'est pas de culpabiliser vis à vis de cet héritage douloureux, mais de savoir et d'avoir en tête pour être capable de ne pas réitérer ou de laisser réitérer.

La question est: En sommes nous capables?