Passé


Début Mai, le 1er plus exactement, est l'occasion d'un énième jour férié dans notre calendrier (scolaire ou non).

Une date suivie d'un intitulé: Fête du Travail. Comme on fêterait les mères, les pères ou les innombrables saints se succédant dans notre monotone rotation solaire.


1er Mai rime avec muguet, on s'offre des fleurs achetées sur le bord de la route pour profiter de cette journée chômée.

Chômée? Pas exactement pour tout le monde, puisqu'en premières loges, nous trouvons les vendeurs de muguet, qui a priori ne chôment pas, puisqu'ils attendent patiemment ou non le chômeur ( d'un jour ) en goguette venant lui acheter des fleurs...

Mais nous retrouvons également les employés de supermarché ou de pharmacie, et bien d'autres, qui ont choisi ou non de travailler ce jour là. Que ce soit par opportunisme, envie, nécessité, ou parce qu'ils s'en foutent comme de l'an 40 de cette "fête du travail".


Arrêtons nous sur cette appellation paraissant anodine et pourtant grandement significative: " fête du travail"....

Sans savoir grand chose sur l'histoire de ce jour férié, on pourrait naïvement se dire, en d'autres termes, qu'on célèbre le fait d'avoir un emploi, ou encore qu'on profite simplement du fait de ne pas travailler ce jour là.


Mais voilà, comme la plupart des jours qui ne se rapportent pas directement à un quelconque personnage ayant accompli de hauts faits religieux à une époque lointaine, le 1er Mai, aujourd'hui réduit à une "fête du travail" (célébré dans de nombreux endroits à travers le monde, soi dit en passant), fût l'objet de combats et de volontés politiques et citoyennes pour ne serait-ce qu'exister, perdurer en ce 21ème siècle.


On l'aura compris, ce texte aurait également pu avoir comme sujet du même ordre; la journée de la femme, la journée de l'abolition de l'esclavage, ou encore dans un registre plus patriotique le 14 Juillet. Mais en ce début de mois de Mai ( du moins quand j'ai élaboré ce texte!), concentrons nous sur la fête du travail, ou plutôt sur la journée internationale des travailleurs comme il serait plus juste de l’appeler.


Pour cela, remontons au 19ème siècle, plus exactement en 1886 le 4 Mai donc, dans la ville de Chicago, sur la place de Hay Market. Nous sommes en plein mouvement revendicatif pour la journée de 8h et 3 jours plus tôt (le 1er mai) lors d'une journée de grève générale mobilisant plusieurs centaines de milliers d'ouvriers, au moment ou tout le monde allait rentrer chez soi, la police charge et il y aura 1 mort et une dizaine de blessés.

En réponse a cette violence policière gratuite, le 4 Mai est organisé un rassemblement pacifiste mais armé (en cas d'attaque de la police très violente contre les mouvements ouvriers à cette époque). Mouvement appelé, motivé, mené, par les anarchistes. Trois d'entre eux prendront la parole lors du rassemblement qui se passa de manière exemplaire, même le maire de Chicago y assista et demanda au chef de la police de rappeller ses troupes. Il est 10h du soir et la foule se disperse, mais les policiers chargent quand même la foule, et une bombe sortie de nulle part est lancée (probablement par les autorités elles mêmes), à partir de là, la police tire pour tuer... L'idée étant de décrédibiliser le mouvement anarchiste qui prenait de l'ampleur à cette époque,...

Sept meneurs du mouvement sont arrêtés, et un autre se livre a la police par solidarité: August Spies, George Engel, Adolph Fischer, Louis Lingg, Michael Schwab, Oscar Neebe, Samuel Fielden et  Albert Parsons

Leur procès s'ouvre quelques jours plus tard, citons le procureur pour comprendre l'enjeu et l'injustice:


« Il n'y a qu'un pas de la République à l'anarchie. C'est la loi qui subit ici son procès en même temps que l'anarchisme. Ces huit hommes ont été choisis parce qu'ils sont des meneurs. Ils ne sont pas plus coupables que les milliers de personnes qui les suivent.

Messieurs du jury : condamnez ces hommes, faites d'eux un exemple, faites-les pendre et vous sauverez nos institutions et notre société.

C'est vous qui déciderez si nous allons faire ce pas vers l'anarchie, ou non. »


Seuls 4 seront finalement pendus, 1 se suicidera en prison, et les autres feront de lourdes peines de prison. Pendus pour leurs idées, pendus parce qu'ils refusaient cette société inégale et parce qu'ils se battaient pour vivre dans la dignité... Mourir pour des idées en somme. En mémoire des Martyrs de Hay Market, l'année suivante, une journée de lutte du mouvement ouvrier est organisée, c'est une journée internationale de grève. Dans de nombreux pays les anarchistes et plus généralement les ouvriers, sont dans la rue, car la solidarité anarchiste n'a pas de frontière...

Petit à petit la tradition s'est installée, qu'on soit anarchiste ou non, le 1er Mai était l'occasion de descendre dans la rue pour réclamer des droits. Bien entendu, les travailleurs s'organisant peu à peu en syndicats, ne se sont pas contentés de descendre ce jour là, et d'autres techniques ont été élaborées et mise à l'épreuve. (mais ceci n'est pas notre sujet, et beaucoup d'ouvrages traitent très bien de cela).

Fort heureusement, les droits des travailleurs se sont nettement améliorés depuis le 19ème siècle, et en plus des congés payés, de la semaine de 35h ou encore de l'abolition du travail des enfants (selon les pays...) ou la sécurité sociale (qui se délite gravement depuis sa création, disons le!), une journée chômée a été crée. C'est pour ça qu'aujourd'hui encore le 1er Mai, beaucoup de gens sont dans la rue, non pas pour célébrer le travail, mais plutôt les travailleurs! Et rappeler aux puissants qu'ils existent.


Présent


Mon 1er Mai 2019 a eu une teinte particulière puisqu'il s'est déroulé à Fortaleza, Ceara, dans le Nordeste brésilien.

Je pense qu'il avait une saveur toute particulière pour les brésiliens en général (du moins une quasi majorité) et pour les nordestinos en particulier.

En effet depuis le 1er Janvier, l'équipe gouvernementale en exercice enchaine les retours en arrière en matière de droits (que ce soit pour les travailleurs, les femmes, les handicapés, les peuples autoctones, les pauvres des périphéries urbaines,...) et beaucoup ont encore un goût amer dans la bouche suite à l'élection de Jair Bolsonaro et de ce qu'il représente.

Pour beaucoup ce fût un coup dur, et la digestion a prit du temps, un repli sur soi-même s'est opéré et peu de gens sont descendus dans la rue pour protester contre ce qui se déroulait dans leur pays, bien que ce fût grave.

Le 1er Mai a été (un peu) l'occasion de se réveiller pour la population brésilienne n'ayant pas voté pour ce populiste, fasciste, militariste, misogyne, homophobe,....


Être dans le Nordeste ce jour là, où pas un État n'a été gagné par Bolsonaro, et dans le Ceara en particulier où pas une commune n'a été emportée, ça a un côté grisant.


En plus, ce 1er Mai était l'occasion de rappeler que depuis près d'un an, Lula, l'ex président brésilien, originaire du Pernambuco (dans le nordeste justement!), et ancien travailleur et syndicaliste, croupit en prison.

Et cela pour des actes qu'il n'a a priori pas commis et sans jugement digne de ce nom.

Sa présence en prison a bien sûr une valeur symbolique puisqu'il est le parfait opposé idéologique du président actuel. Mais c'est également représentatif du fonctionnement de l'appareil judiciaire brésilien.


Rapidement, revenons sur les faits.


Lula est accusé d'avoir possédé un appartement par le biais de la corruption, un bakchich quoi. Le problème c'est qu'aucune preuve n'est présente dans le dossier et que la cour suprême du Brésil (7 personnes qui peuvent décider de la vie d'autrui sans avoir de contre pouvoir effectif, sacré pouvoir non?) a décidé de l'envoyer et de le laisser pourrir en prison à l'âge de 70 ans.

Évidemment beaucoup de gens manifestent leur soutien à cet homme, qui ne fût pas irréprochable, comme toute personne de pouvoir, mais qui a fait énormément pour les pauvres, les travailleurs, les handicapés, les femmes, les peuples autochtones,... Bien sûr par "lui" j'entends son parti (le PT), les militants, l'équipe gouvernementale,...

Il est important de préciser que c'est durant son gouvernement que l'opacité sur les actes de corruptions a été levée, autorisant des enquêtes impartiales (du mois sur le papier), afin de combattre ce fléau qui gangrène le Brésil.

Joli paradoxe n'est ce pas?

D'ailleurs, un nombre incalculable d'exemples de politiciens ayant échappés à la prison ( ou toute autre forme de sanction ) jalonne l'histoire contemporaine du Brésil.

Le dernier en date étant le fils de Jair Bolsonaro, le président actuel...

Et pour couronner le tout, Lula s'est vu interdire sa sortie de prison temporaire, pour assister aux obsèques d'un parent proche, sans raison particulière autre que ce qu'il représente. C'est un droit qui est aujourd'hui accordé à la plupart des prisonniers au Brésil (et dans bien d'autres pays d'ailleurs!)


Ceci étant dit, quel plaisir de vivre ce 1er Mai aux côtés d'un peuple brésilien se réveillant de sa torpeur.

Après avoir moi-même passé un mois dans le Ceara aux côtés de personnes prêtes à s'organiser et abasourdies par ce qui leur arrive. Évoquant tantôt les parallèles actuels avec les années sombres de la dictature militaire, tantôt la jeunesse des périphéries urbaines ( ou favelas) qui s'organise digitalement, tantôt le sort de ce pauvre Lula, ou des peuples autochtones et de tous les autres.

Quel plaisir de conclure ce mois magnifique par de vibrants: "LULA LIVRE, LULA LIVRE", scandés par des personnes de tous âges, toutes couleurs et sûrement toutes confessions (j'ai pas été leur demander!)

Quel plaisir d'autant plus que le hasard (s'il existe) a fait que nous sommes partis 2 jours plus tard du Sitio Flor e Ser, et que nous sommes allés par hasard (s'il existe) nous promener sur la plage non loin du rassemblement.


Parce que je dois dire que cette année le 1er Mai, je l'avais un peu mis de côté.

Mais apparemment le hasard fait bien les choses...